La Plume d'Or


21esme de decembre 1549


6 sols

<-- 22esme d'octobre
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Mort de Son Altesse Marguerite d'Angoulesme


Hellas, hellas ! Ce jour est morte la marguerite des marguerites, son Altesse Marguerite de Valois, soeur de feu nostre bon roy Françoys, & fille de feus Charles d'Orleans, comte d'Angoulesme & Louise de Savoie. Marguerite estoit née en la ville d'Odos en Bigorre, en une tour ronde qui existe encore. A la mort de son pere, le comte, en 1496, Marguerite & son tout jeusne frere le futur roi Françoys, feurent eslevés de façon tres-excellente par leur mere, une femme remarquable. Marguerite apprint plusieurs langues anciennes & modernes, & sa reputation de sçavoir & beaulté feist briguer sa main par plus d'un puissant prince.
Las, pour des raisons d'alliances, elle feust mariée à
Charles le Troisiesme, duc d'Alençon, qu'elle n'aimoit pas & n'aima jamais. Après la bataille de Pavie, où il s'enfuit en entraînant avec lui son corps d'armée, Charles s'enfuyt pour Lyon. Il y mourut de chagrin & de honte, le onziesme d'avril 1525, sans avoir reveu sa femme.
Marguerite le regretta peu, car toute sa pensée estoit tournée vers son frère.
Francoys, lequel, malade de chagrin et d'ennuy, desperissoit en sa prison de Madrid. A force d'insistance, elle obtint du roy d'Espagne, Charles Quint, un sauf conduit. Arrivée à Madrid, elle rappela à la vie son frere desespéré. Charles Quint lui-mesme subit l'influence que Marguerite erxerçoit sur ceux qui l'approchaient, mais la politique fit taire en son ame les sentiments genereux nés des gestes de la princesse. Pour peser d'avantage sur la volonté du roy captif, Charles essaya mesme de retenir Marguerite jusqu'à la fin de son sauf-conduict. Avertie à temps, la princesse courut à franc estrier vers la frontiere, &, malgré tous les obstacles, y arriva le soir mesme où expiroit son autorisation de demourer en Espagne. Françoys se souvint du tres-grand devouement de sa soeur, &, rendu à la liberté, voulust la recompenser en la faisant royne. Il la maria à Henry d'Albret, roy de Navarre, qui luy donna une fille, Jeanne d'Albret. Lors, la petite Cour fixa sa résidence à Nerac, & ce feust une belle epoque pour les provinces de Bearn & Navarre.
Autour de ceste princesse, artistes & poëtes accoururent en foule, seurs de trouver en elle ung esprit digne d'apprecier tous les mérites et ung coeur ouvert à toutes les infortunes. Sa cour estoit un vrai Parnasse, retentissant de musicque, vers & joyeux devis. Marguerite elle-mesme composoit des poëmes. Feu
Clement Marot & maistre Bonaventure des Periers estoient ses valets de chambre ; François Rabelais & Estienne Dolet, ses hostes assidus ; Roussel & Jean Calvin, apostres de la Reforme, trouvoient auprès d'elle protection et sympathie.
Lors que vinrent les persecutions, elle ne les abandonna poinct, & se fit avocate près
son frere. Et mal en print à ceulx qui vinrent l'accuser près du roy Françoys de suivre la religion nouvelle. Le roy défendit formellement toute attaque contre sa bien-aimée soeur. Marguerite, pour ne pas contrister ce frere devoué, revint à la croyance catholique, & fut même accusée de trahison. Mais sa conduite ne changea pas à l'esgard des protestants, & elle adoucit autant qu'elle le put les mesures prises par le gouvernement du roy. Marguerite a eu la douleur de voir mourir son frere deux ans avant elle, & elle avoit abandonné depuis ce jour la culture des lettres pour ne songer plus qu'à la mort.



Feue Marguerite de Valois-Angoulesme,
dicte "la marguerite des marguerites"